Plus les pères s'investissent dans la famille et plus ils seront "fêtés"

par Sibylle LAURENT
Publié le 20 juin 2020 à 7h00
La fête des pères se déroule dimanche.
La fête des pères se déroule dimanche. - Source : iStock

UN COLLIER DE NOUILLES POUR TOUS- Pourquoi la fête des pères est-elle moins célébrée que celle des mères ? Y consacre-t-on un budget moins important ? Est-ce une impression ? Des papas nous racontent et un sociologue nous explique pourquoi la fête des pères risque de monter en puissance.

La fête des pères ? Quelle fête des pères ? Marc, 67 ans, peine à se souvenir. Je me rappelle des colliers de nouilles peints, de dessous de plats , des boucles d’oreilles en papier crépon que ma femme recevait pour la fête des mères, accompagné d’un petit mot légèrement sirupeux "à ma  maman que j’adore" . Mais moi ? Comment étais-je 'reconnu' . Peut-être a-t-il écopé, une année, d’un pot à crayon réalisé dans un pot de yaourt; voire d’une cravate choisie par sa femme. Plus sûrement, un bon repas et un gâteau maison. Mais tout de même… "A croire que les papas sont moins source d’imagination que les mamans…", glisse-t-il, avec un brin de nostalgie. Sa femme Anne, d'ailleurs, confirme : "On était en effet sur un petit cadeau utile à toute la famille à l'arrivée de l'été, une pince à barbecue des BD pour toute la famille, une chemisette pour l'été... C'était surtout l'occasion de déguster un bon dessert familial!"

Pas besoin d'acheter quelque chose, juste leur amour nous suffit
Mélanie

Chez Romain et Laura, ce genre de problème est en partie résolu : les parents se chargent  des cadeaux. Une fête d’autant plus célébrée, que c’est la première fois : "Mon mari m'a fait un gros cadeau pour la fête des mères et il aura son gros cadeau pour la fête des pères", raconte Laura. "Et à côté de cela, on prend des petites babioles "meilleure maman, papa le plus fort" de la "part" notre fille de 8 mois, car c'est notre première fête."

"Les enfants nous font ce qu'ils veulent, dessins, pâte à sel, etc... Pas besoin d'acheter quelque chose, juste leur amour nous suffit !", déclare pour sa part Mélanie, épinglant le côté "tellement commercial des fêtes des pères et mères, tout comme la Saint Valentin..."

Adrien, lui, est séparé depuis 5 ans, et a son fils en garde partagée. Au début, il s'accrochait à ce petit souvenir marquant, que son fils avait fait à l'école, dessin encadré ou empreinte de main en pâte à sel. Mais depuis quelques années, l'école a arrêté les cadeaux aux parents, et les petites attentions pour ce jour particulier sont devenues plus aléatoires.  Papa poule, il espère encore, chaque année.

Patricia, qui a perdu son père  dépose, ce jour-là, une fleur au cimetière : "Mon papa a eu la maladie de Parkinson pendant 22 ans, et en 2017, une pneumonie l’a emporté…" Claude non plus, "n’a plus de papa", mais pas question de céder au chagrin, le jour de la fête des pères, "je me fait un cadeau à moi-même en pensant très fort à lui."

Les mères mieux traitées ?

Petite frustration, gros cadeaux, ou souvenirs douloureux... Il y a sans doute autant de fêtes des pères que de familles. Mais ce qui ressort souvent, c’est l’impression que moins d’attention est accordée à cette journée qu'à celle des mères. Ce serait une très, très petite moitié des Français (35%) qui envisagerait de la célébrer en faisant un cadeau, d’après un sondage Yougov réalisé pour L’Internaute. Les mères seraient plus gâtées, tant sur la forme, que sur le fond : d'après un sondage Toluna réalisé pour LSA en 2017, 60,3 % des adultes pensaient offrir un cadeau à leur mère, contre 43,8 % pour les pères. Un traitement de faveur qui se ressentait aussi dans le budget moyen consacré à la fête : il s'élevait en moyenne à 50,07 euros pour les cadeaux des mamans, contre 48,08 euros pour ceux des papas.

Comment expliquer cet écart ? L’Américain Adam Perrier, psychologue de la consommation, explique cela par une raison assez marketing, dans un article intitulé "Why Father’s day still isn’t a big deal" : alors que toutes les grandes fêtes qui impliquent une consommation de masse (Pâques, Noël, la fête des mères) sont soutenues très largement par les spécialistes du marketing, la fête des pères fait exception : le marketing a été à la traîne pour célébrer de manière "authentique" les pères. Pourquoi ? Un peu une histoire de gros sous...

Cadeau utile contre cadeau symbole

Parce que, estime le chercheur, il y a là-dessous une dynamique de genre : les cadeaux ne sont pas les mêmes pour les mères que les pères. "Pensez aux cadeaux stéréotypés du père, et ils sont largement fonctionnels (par exemple, les outils électriques) alors que les cadeaux des mères et ils sont largement symboliques (par exemple, les fleurs)", souligne Adam Ferrier. Et ces cadeaux symboliques véhiculent à la fois plus d’émotion, et sont sans limites : on peut offrir autant de fleurs, chaque année ; en revanche, difficile d’offrir une perceuse à chaque fois, le marché peut donc vite se tarir. "Par conséquent, il est plus facile pour les marques de s’investir sur des cadeaux symboliques comme la fête des mères, car les cadeaux qu'elles sont censées aimer se prêtent à plus de consommation et à de plus grandes marges." Cet état de fait est d’ailleurs confirmé par le sondage Yougov  : aux papas, on offre dans 40% des cas, un cadeau utile, tel qu'électroménager, vêtements...

Cette différence entre homme et femme pourrait être liée, à une autre explication, plus symbolique : si une importance plus grande est accordée historiquement à la fête des mères, c’est parce que les mères auraient besoin de plus de reconnaissance que les papas, une manière de compenser les inégalités dont elles sont victimes dans la société. "Les hommes sont généralement toujours mieux payés pour le même travail, et la société accorde généralement toujours plus de responsabilité à la femme pour élever des enfants et entretenir un ménage, malgré le fait qu'une femme puisse travailler dans un emploi tout aussi difficile et tout aussi qualifié, comme son partenaire", indique-t-il. "Historiquement, les mères étaient considérées comme les personnes qui n'étaient pas assez remerciées pour le travail qu'elles avaient accompli, et avaient donc besoin d'une journée qui leur était dédiée", explique Adam Ferrier. "La fête des pères a toujours été une plaisanterie, reconnaissant quelqu'un qui ne le méritait pas vraiment. L’homme a sans doute bien fourni un revenu, mais il a peut-être négligé son rôle 'paternel'."

Des rôles moins rigides

Mais la donne pourrait bien être en train de changer, en même temps que le rôle des pères dans la société : ils investissent davantage la sphère familiale, s'éloignant du cadre rigide et formaté calé par la société. Ce qui fait prédire à Adam Ferrier : "Au fur et à mesure que les rôles d’élever les enfants et de fournir un revenu deviennent moins sexospécifiques, on peut s’attendre à voir la la fête des Pères prendre une plus grande place, en même temps que les hommes commencent à prendre plus au sérieux le côté nourricier de leurs responsabilités". Une vraie journée de célébration de leur rôle de père, à mesure qu'ils sont davantage partie prenante de la vie du foyer ?  

Un postulat qui se vérifie si l’on s'en tient au seul aspect consumériste, notamment aux Etats-Unis. En 2009, selon la National Retail federation, les Américains n'avaient dépensé "que" 9,4 milliards de dollars pour la fête des pères. Mais en 2017,  un record de 15,5 milliards de dollars a été atteint- contre cependant 23,1 milliards  pour la fêtes des mères.

Une nouvelle génération de pères émerge
Patrice Bonfy, papa militant

En France, Tristan Champion et Patrice Bonfy deux papas militants et auteurs des sites Barbapapa.blog et le Paternel constatent aussi "avec plaisir"  une "vision renouvelé de la paternité, son congé, mais aussi son rôle dans l’éducation, sa place dans le partage des tâches parentales... qui a bourgeonné et prospéré comme jamais dans le débat public", écrivent ces deux pères, dans un billet consacré à la fête des pères. "Une sorte de révolution silencieuse de la parentalité", qui fait émerger une "nouvelle génération de pères", dont on parle de plus en plus, qui intéresse qui est mise en avant, par les médias, mais aussi dans le monde du travail.

Les papas seraient-ils plus "paternels" chez la génération Y que ceux des générations précédentes ? En tout cas eux y croient :  60% des pères de la génération Y estiment qu’ils participent au moins à égalité aux tâches parentales, disaient-ils dans une étude menée par Facebook Business, même si, petit bémol, seules 30% des mères confirment cette égale répartition des tâches. Une étude menée par The Economist en 2017 va toutefois dans le même sens : en moyenne, depuis 1965, le temps passé par les pères à s’occuper des enfants est passé de 16 minutes par jour à 59 minutes. Les choses changent ! 


Sibylle LAURENT

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